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1 janv. 2010

La Ghriba à Djerba


La Ghriba est une très, très ancienne synagogue qui brille de mille feux sous le beau soleil torride de Djerba. Son bleu est plus bleu que la Méditerranée, ses ors sont des trésors et l'air qu'on y respire est parfumé à la rose et au jasmin.


Yves Derai

Dans l’Ile de Djerba réside une merveille connue sous le nom de la Merveileuse. Il s’agit d’un lieu de culte, un des plus sacrés de l’Afrique du Nord : la synagogue de la Ghriba (كنيس الغريبة). Cette dernière est située dans le village d'Er-Riadh (anciennement Hara Sghrira ou Hara Kbira). Ce village est le plus ancien village juif de Djerba. Il se trouve à proximité de la localité de Houmt Souk. Chaque année au mois de mai, dans ce village a lieu un pèlerinage des Juifs de la planète, dont plus particulièrement ceux natifs de la Tunisie.


L’Ile de Djerba comptait vint synagogues réparties en trois villages dans les années 50 elle n’en compte plus qu’onze actuellement. La synagogue actuelle date des années 20 et serait reconstruite sur l’emplacement exact de la première synagogue. On sait que la précédente synagogue fut détruite au XVIe siècle pendant l’invasion espagnole.


La Grhiba reste la plus réputée et la plus vénérée des synagogues et maisons de prière qui fonctionnent encore dans les trois villages juifs de Djerba. Elle est également la plus célèbre parmi un certain nombre de synagogues portant le même nom et situées dans d'autres pays d'Afrique du Nord (notamment à Annaba). La renommée de la synagogue est basée sur les nombreuses traditions et croyances qui soulignent son ancienneté et son importance parmi les Juifs de Djerba et ceux des anciennes communautés juives de Tunisie et de la Libye voisine.


La première question que se pose le visiteur est la raison de l’emplacement de cette synagogue?


Selon la tradition orale, au moment de la destruction du Temple de Jerusalem, à la fin du VIe siècle avant JC, les gardiens du temple des Cohen (Cohanim) auraient apporté avec eux une pierre du Temple édifié par Salomon, alors que les autres juifs étaient massivement déportés à Babylone. Les Cohen, s’enfuyant par la mer, auraient atteint la célèbre ile des Lotophages (Djerba) et y auraient fondé la première synagogue.


Une autre version court en Tunisie : on dit que la synagogue aurait été érigée dans la première moitié du XIXe siècle à un endroit précédemment occupé par une jeune fille étrange, surnommée ghriba. Cette jeune fille n'était pas acceptée par les habitants de l'île. Elle restait l’étrangère et lors d’un grand feu, sa hutte aurait été entièrement détruite, tandis que son corps aurait été retrouvé intact. Les juifs de Djerba pensèrent alors que cette jeune fille était une sainte et décidèrent d'établir une synagogue sur l’emplacement de sa hutte.


Les deux légendes se télescopent pour donner une troisième variante, racontant que la fille était une réfugiée juive qui s'était sauvée de la terre d'Israël en apportant avec elle un rouleau de Torah et une pierre du temple de Jérusalem. Retrouvée morte d’épuisement, les premiers rabbins auraient érigé sur le lieu de son décès, une synagogue.


Dans les guides touristiques du XXe siècle, on affirme que la pierre incorporée à l'une des voûtes de la synagogue serait la pierre originale rapportée de Jérusalem, sans préciser par qui. Quant au rouleau de la Torah, on en trouve un à l’intérieur de la Synagogue considéré comme l’une des plus anciens du monde.



La deuxième question concerne la simplicité de la synagogue. Ce lieu si grandement vénéré est de dimension modeste et de facture dépouillée. Les spécialistes insistent sur le fait que la grande diffusion de la Diaspora n’a pas fait naitre un style spécifique et que les aléas de l’histoire ont conduit les communautés vers l’économie et la modestie des constructions.


Entrons dans cette synagogue : une lumière bleue baigne l’intérieur de l’édifice sacré. Tous les murs sont décorés de faïences aux motifs bleus et toutes les colonnes qui soutiennent les voutes sont peintes en bleu. L’intérieur est fonctionnel, composé de deux salles couvertes dont la première est une ancienne cour qui a été transformée en lui ajoutant un toit, On y voit trois voutes qui relient les deux salles. L’usage de ces salles est principalement la prière.


A l’extrémité occidentale de la salle de prière principale est placée la Téva qui sert pour la lecture de la Torah. Autour la Téva, sont regroupés des bancs sculptés. L’armoire de la Torah est fort imposante constituée de caissons et de colonnades. Une niche en-dessous de l'arche sainte indique l'endroit où le corps de la jeune fille de la tradition aurait été trouvé : on le connaît comme « la caverne de la fille ».


Dans la tradition juive, la lumière est un symbole toujours présent. Cette lumière signifie la lumière spirituelle émanant de la Torah. On observe d’ailleurs, le grand nombre de fenêtres quand on visite la synagogue. Il est dit que le pèlerin juif doit toujours prier en n’oubliant pas d’avoir les yeux ouverts sur le monde. Si le chiffre consacré est douze, comme les douze tribus d’Israël, dans la Ghriba, les fenêtres ici dépassent ce nombre à la suite des multiples transformations au cours du XIXe et XXe siècles. Cette lumière éternelle est tangible par la présence de candélabres supportant des bougies toujours allumés et suspendues devant l’Arche. On remarque brillants sur les murs, les dons faits en or et argent, sorte d’ex-voto, en fonction de la richesse du pèlerin. Enfin, l'atmosphère religieuse y est entretenue par les lampes à huile et les chants psalmodiés.


Hormis l’édifice principal, des bâtiments adjacents servent de logement aux pèlerins, les plus anciens ayant été érigés à la fin du XIXe siècle et ayant été suivis d'une deuxième structure établie au début des années 1950. L’ensemble des bâtiments est peint en blanc et toutes les ouvertures, fenêtres et portes, les surface planes comme les grillages sont peints en bleu.


Comme d'autres synagogues de Djerba, la Ghriba est située à proximité d'un cimetière juif antique que visitent les pèlerins venus par milliers. Les revenus de ce pèlerinage sont reversés aux anciens du village, ainsi qu'aux étudiants locaux de la Torah.


Le pèlerinage inclut une visite à la synagogue, l'aumône, des prières et la participation à l'un des deux cortèges qui ont lieu pendant les deux derniers jours du pèlerinage. C’est durant ce pèlerinage que les touristes sont les plus nombreux et que la Ghriba, lieu de culte est aussi célébré comme un lieu de mémoire et d’identité fortes. Un lieu de tourisme culturel, sans aucun doute!Texte écrit en octobre 2009 par mes soins et publié ce jour

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