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9 janv. 2010

Tourisme religieux en Tunisie et Pélerinage

Lors de mon premier voyage de retour en Tunisie, j’ai pris conscience de la force des lieux saints pour la piété populaire et pour leurs valeurs identitaires.
Ainsi les circuits de tourisme religieux existent en Tunisie, notamment pour les Juifs qui font le pèlerinage à Djerba. En effet le Haut Lieu du culte judaïque se trouve dans cette île de Djerba. Après la destruction du temple de Jérusalem en 586 avt JC, une diaspora se fixe sur l’île-jardin et cette communauté juive y bâti une synagogue, appelée la Ghriba. Il semblerait que cette installation se soit faite à l’époque de la création de Carthage. Toutefois de nombreuses vagues de peuplement se multiplient au travers des déportations et différents exodes. Le plus important a lieu en 1492 avec l’arrivée des communautés juives espagnoles et les arrivées se poursuivent au XVII et XVIIIe siècles en provenance d’Italie, d’Espagne et du Portugal.

La Ghriba (la Merveilleuse) est la plus vieille synagogue du monde même si l’édifice actuel est une reconstruction faite sur une pierre du temple de Jérusalem apportée avec piété par les membres de la communauté en fuite. Des 110 000 juifs que comptaient la Tunisie en 1948, il en reste 3500 environ dont le plus grand nombre vit à Djerba principalement dans deux villages, Hara Kbira et Hara Seghira. Le reste de la communauté s’est installée en Israël et surtout en France. Il est à noter que les Juifs Djerbiens ont conservé la liturgie originelle sans grande modification.

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Le pèlerinage a lieu le 33e jour de la Pâque juive; il célèbre plusieurs saints : le rabbi Meyer et le rabbi Shiméon Bar Youhêr. Le premier serait un faiseur de miracles et le second l’auteur d’une centrale de la Tradition juive, Le livre des splendeurs ou Zohar. Les touristes juifs effectuant le pèlerinage en profitent pour aller sur les lieux de leur naissance et surtout cherchent à visiter les cimetières juifs où sont enterrés leurs ancêtres. Ce tourisme à la fois religieux et identitaire n’est pas à négliger. Si je le compare avec ce qui se passe au Maroc, autre pays du Maghreb qui avait une très forte population juive en son sein et qui renoue officiellement avec ceux-ci, on constate que depuis 1986 les tours religieux se sont multipliés.

Je lisais dans un livre universitaire « Les pèlerinages au Maghreb et au Moyen Orient. Espaces publics, espaces du public » édité par l’Institut français du Proche Orient àBeyrouth en 2005, sous la direction de Sylvia Chiffoleau et Anna Madoeuf, qu’au Maroc, le pèlerinage le plus célèbre est celui de Rabbi Yahya Lakhdar. Ce pèlerinage est ancestral puisqu’il « remonterait au temps d’Hadrien qui interdit aux Juifs toute pratique religieuse ».

L’article met en valeur combien ce temps du pèlerinage est « un espace de visibilité pour la communauté » juive du Maroc. Elle permettrait à celle-ci de défendre son enracinement dans cette terre marocaine et d’affirmer également sa marocanité. Ce pèlerinage de Rabbi Yahya Lakhdar est situé près de la ville de Casablanca. Le choix officiel des communautés juives du Maroc est celui d’attirer les juifs sépharades de la diaspora près d’une ville accessible aux personnalités étrangères dans le cadre d’un tourisme religieux organisé avec succès dès 1986. Depuis lors, chaque année a lieu ce pèlerinage dans lequel « la fête n’est jamais séparée du sacré). Chants judéo-arabes sur musique arabo-andalouse font bon ménage avec les gâteaux et l’eau-de-vie d’Israël. Et les pèlerins appellent le Saint à la guérison miraculeuse sur un rythme proche de la transe. Enfin ce pèlerinage donne lieu à un moment de mise aux enchères d’objets ayant pour vocation d’alimenter les caisses de charité envers les pauvres et la réfection des lieux saints.
medium_medium_Kubba.2.jpgÀ côté de ses pèlerinages juifs existent des lieux saints réappropriés par la puissance laïque sous forme de festivals. Ainsi j’ai visité près de Mornaguia un mausolée qui a été transformé en lieu festif en l’honneur du saint homme Sidi Ali Hattab. Ce lieu de sépulture du Marabout appelé Qubba, le 23 mai retentissait d’une musique assourdissante et je me frayais un chemin en compagnie de mon hôte au milieu d’une foule bigarrée de familles nombreuses venues pique niquer près de la tombe et faire quelques emplètes sur le marché en plein air installé à l’extérieur de la Zaouïa (établissement islamique autour du marabout). Un espace réservé au milieu d’un champ en face de la construction blanchie à la chaux devait servir à une Fantasia organisée plus tard dans la journée. Lorsque j’entrais dans la cour entourant le marabout, un nombre très important de femmes, toutes agglutinées à l’ombre des portiques, semblait attendre patiemment leur tour pour entrer dans la salle de prières et faire leurs vœux. Quelques enfants tentaient de revendre des fleurs sauvages cueillies sur le bord de la route. Mon accompagnateur m’expliquait que ce lieu traditionnel avait été transformé en un festival le 23-24 mai de chaque année.

medium_festival.jpgJe n’en sus pas plus jusqu’à ce que je lise, de retour au Québec, le livre mentionné plus haut et dans lequel j’ai découvert un chapitre sur un lieu similaire en Tunisie centrale en l’honneur d’un saint local Sidi Amor Bou Hadja. Ce lieu saint, lui aussi a été intégré dans une structure festive plus large, le festival officiel de Sidi Amor Bou Hadja qui inclut également une fantasia et une foire exposition. Aujourd’hui encore on attribue de nombreuses qualités à ce saint et en particulier des dons de guérison, le pouvoir de chasser les malfaisants et la réalisation de nombreux miracles.

Ce qui me plaît dans cette découverte lors de mon voyage c’est de voir que le tombeau du marabout représente spatialement un signe tangible du sacré populaire traditionnel existant depuis la fin du VIIIe siècle de l’hégire. Et depuis la mort des deux saints ces lieux sont le siège d’un pèlerinage. Apparemment les gens viennent pour s’imprégner de la baraka du saint. Prières et offrandes se mêlent ainsi à la fête. Mais depuis quand date le festival ? Je n’ai pas la réponse pour Sidi Ali Hattab mais pour Sidi Amor Bou Hadja, l’histoire est connue et racontée dans l’article d’Isabel Ruiz intitulé « Agir sur un événement et un lieu pour requalifier l’espace et la société locale : l’action du pouvoir politique tunisien sur le pèlerinage et la Qubba de Sidi Amor Bou Hadja ».

Après l’indépendance une fantasia est créée en l’honneur des cavaliers et des guerriers locaux. Dans les années 60 cette Fantasia est organisée au même moment que le pèlerinage qui attire beaucoup de monde de l’arrière pays. De la fin des années 60 jusqu’au début des années 90 se structure et se met en place le festival. 
Il semblerait donc que ces lieux de festival soient des lieux de rassemblement symboliques et que les espaces choisis bénéficient d’une légitimité à la fois populaire spontanée mais aussi historique et légendaire.

Je ne connais toujours pas deux après ce premier voyage les détails sur Sidi Ali Hattab.Maintenant que je vis ici je vais m'enquérir auprès de mes amis historiens tunisiens.

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